Si aujourd’hui l’épicentre géopolitique global tend à se recentrer vers le Pacifique, la Méditerranée et le Moyen-Orient restent un point chaud mondial qui devra être désormais pensé dans sa dimension locale et globale, ou, plus exactement, inter-régionale, à un niveau entre le local et le global, qui a émergé comme de plus en plus structurant du point de vue géostratégique : c’est-à-dire dans un contexte géopolitique qui prend en compte des sous-ensembles géostratégiques, avec leurs logiques propres de conflictualité et d’alliances et des interactions davantage émancipées des grandes puissances, complétées ou remplacées par des sponsors régionaux. Ces sous-ensembles sont les pays du Golfe persique et de la Péninsule arabique, le sous-continent indien, l’Asie centrale et l’hinterland eurasien, qui ajoutent leurs dynamiques transformationnelles dans un paysage conceptuel qui se limitait pour nous trop confortablement à la Méditerranée, au Maghreb et au Mashrek-Levant. C’est le grand retour des régionalismes, au détriment d’un multilatéralisme de plus en plus désavoué.

Un nouvelle equilibre entre les regions

On voit ce nouveau grand jeu régional à l’œuvre dans la traditionnelle zone MENA (Middle-east North Africa), qui depuis un siècle a tant aspiré à l’indépendance des anciennes puissances mandataires et colonisatrices, et n’a pas obtenu ce courant de démocratisation tant attendu, en grande partie du fait de l’activisme conservateur de puissances régionales comme l’Arabie Saoudite où les Émirats Arabes Unis, devenus adeptes du hard power et désormais tout aussi interventionnistes, à cette échelle inter-régionale que les grandes puissances occidentales, la Russie et la Chine le furent et le restent à l’échelle globale.

Les grands bouleversements que traverse le Moyen-Orient et les recompositions permanentes d’alliances pragmatiques doivent désormais être appréciés, suivis et anticipés dans un contexte géopolitique élargi au golfe d’Aden, à la Mer Rouge, à la Méditerranée et l’Océan Indien qui forment un nouveau continuum stratégique régional maritime auquel correspond un continuum régional stratégique terrestre entre le Mashrek, l’Irak, l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Inde et l’Asie Centrale qui colle de plus en plus à une définition idéologique russe de l’Eurasie, tout en représentant une cible stratégique pour la Chine à travers le projet « Belt and Road », qui vise principalement à relier les entités régionales parcourues par les anciennes routes de la soie sous la houlette de Pékin.

Dans ce contexte, il ne suffit plus de suivre les agendas de la Turquie, de la Russie et de la Chine, devenus ces dernières décennies des acteurs régionaux majeurs à côté ou en substitution des Européens et des Américains, pour comprendre une crise comme celle que traverse le Golfe actuellement par exemple. Il faut rajouter systématiquement des acteurs régionaux dans les analyses comme le Pakistan, l’Inde et l’Afghanistan aux acteurs locaux que sont l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, pour mieux percevoir ce qui se joue aujourd’hui dans le Golfe.

Des accords récents entre Etats sous tension passés autour de la mer d’Oman notamment entre l’Arabie Saoudite et le Pakistan, et entre l’Inde et l’Iran, montrent bien à quel point les tensions localisées prennent une dimension inter-régionale. Un conflit majeur risque de survenir entre Delhi et Islamabad, après la décision du premier ministre Narendra Modhi de révoquer l’autonomie de la région du Jammu et Cachemire, mais également la décision de retirer la nationalité indienne à 2 millions de musulmans de la région de l’Assam. Un moyen de revenir vers le Pakistan après que celui-ci a refusé d’intervenir dans la coalition au Yémen, Riyad refait un pas vers Islamabad afin de s’assurer de son soutien face à l’Iran qu’elle tente d’encercler par l’est.

Pour finir l’instabilité du Moyen-Orient trouve sans doute l’une de ses sources dans le découpage crisogène de l’Empire ottoman par deux puissances occidentales en déclin qui ne souhaitaient pas voir s’émanciper les peuples concernés. Mais un siècle plus tard, c’est surtout d’un déficit de légitimité dont souffrent les régimes en place qui ont perdu la confiance de leurs peuples, orphelins des pères de leur indépendance. A l’aube du XXIème siècle, aucune des puissances actuelles, régionales comme globales, n’ont intérêt à ce que perdure le chaos. Le retour à l’équilibre et à la paix passera donc certainement, non par une remise en cause des frontières qui ajouterait à la confusion, mais par une stabilité retrouvée des pouvoirs politiques qui devront consacrer leurs efforts à rétablir leur légitimité perdue. Cette restauration de pouvoirs légitimes doit passer par une séparation nette entre le domaine du spirituel et du temporel et ce, pas seulement au sein de l’appareil de l’Etat mais également au sein de la société, des corps sociaux, des communautés et des ethnies.  Ce sont effectivement des sociétés qui sont à reconstruire. En parallèle à cette réaffirmation interne des souverainetés, une paix régionale  doit être recherchée en s’appuyant sur l’émergence des puissances régionales Turquie, Iran et Arabie saoudite.

"L’Ancien Monde se meurt et le nouveau tarde à apparaître".

NOUS VOUS CONSEILLONS

Economie

Nucléaire : l’Iran augmente fortement sa production d’uranium enrichi

Deux mois après s'être affranchi des restrictions qui pesaient sur lui, l'Iran a également mis au…
Economie

Un nouveau printemps arabe est-il en train de se dérouler au Moyen-Orient ?

Un nouveau vent de contestation souffle sur le monde arabo-musulman. Peut-il porter plus de fruits…
Géopolitique

L’avenir du moyen-orient

Si aujourd’hui l’épicentre géopolitique global tend à se recentrer vers le Pacifique, la Méditerranée et…
Art et Culture

L’Exposition universelle de Dubaï en 2020

L'aventure vous attend « Dans le monde hautement interconnecté d'aujourd'hui, une vision renouvelée du progrès…

2 Comments

Leave a Reply